Après avoir séjourné dans mes
chères Ardennes natales, nous avons pris la route de Fontenoy-le-Château, à
l'orée des Vosges, afin d'y visiter le Musée de la broderie blanche.
C'est
un joli petit musée très bien tenu, les broderies sont bien repassées et bien
présentées. Les explications sont nombreuses, sans trop de lecture pour chacune.
J'y ai beaucoup appris sur l'activité
des brodeuses de Fontenoy et de la région, activité commencée dans les années
1850-60, qui connaît son âge d'or à la fin du XIXe et a persisté jusqu'au déclin de la broderie main après la seconde guerre mondiale.
En regardant bien, on peut voir au moins deux femmes équipées de leur métier à broder sur pied, à pivot ! |
Un peu d'histoire...
En 1825, Madame Chancerelle, brodeuse venue de la capitale, s’installe près de Châtel-sur-Moselle
où elle a cependant du mal à recruter sa main-d'œuvre féminine. Or Fontenoy
comptait plusieurs industries métallurgiques, et donc un milieu ouvrier
important au sein duquel les femmes, ne trouvant guère à s’employer, étaient
disposées à apprendre ce nouveau métier de la broderie. En quelques années,
Madame Chancerelle forme donc huit jeunes filles du village qui acquièrent le
savoir-faire leur permettant de créer elles-mêmes sur place leurs propres
ateliers. La broderie prend véritablement son essor à Fontenoy vers 1850-60
grâce à Madame Rodier qui y installe une véritable entreprise de broderie sur métiers
plats.
La broderie main professionnelle se développe
alors et fera la renommée de ce village qui comptera
jusqu'à 500 brodeuses et quelques brodeurs.
A Fontenoy, la brodeuse travaille à son domicile
pour un "bureau" dont voici l'organisation :
Les
demandes de pièces à broder arrivent en début de journée, en provenance des grandes villes
où des fournisseurs spécialisés servent d’intermédiaires avec les particuliers.
Lorsqu’il ne s’agit pas de modèles répertoriés du "bureau", l’entrepreneur confie
tout d’abord au dessinateur le soin de réaliser le croquis correspondant au
souhait du client puis fait passer le calque au piqueur. Le calque est en
réalité une sorte de papier sulfurisé ou un papier pelure un peu fort, et le
piquage est réalisé avec une machine à pédale dédiée à cet usage, dont l’aiguille
est fixée au bout d’un long bras flexible et vibre de haut en bas.
On réalise
ainsi le piquage, c'est-à-dire que l'on perfore le calque de trous minuscules
en suivant le tracé du motif à broder. Le ponçage à la poudre d’encre permet ensuite de transférer
le dessin sur le tissu à broder.
On peut voir la taille des petits trous par rapport à celle du pouce |
Puis la
Première d'atelier sélectionne les cotons à broder, les coloris et la quantité
exacte de fils nécessaire à la réalisation de l'ouvrage.
Le travail est ensuite distribué aux brodeuses
selon leurs compétences : celle-ci réalisera les chiffres (initiales
brodées)...
tandis que telle autre est spécialisée dans les pois...
ou une autre encore dans les fils tirés.
On leur remet leurs pièces à broder quand elles
viennent au bureau rendre l’ouvrage de la journée, mais si c’est une commande urgente,
il arrive même qu’on leur apporte à domicile. Elles travaillent 10 à 12 heures par jour, parfois même la nuit.
Témoignage :
Pour avoir vécu jusqu’à son mariage à Fontenoy-le-Château,
Huguette a grandi au milieu des brodeuses et commencé sa vie professionnelle
dans cette spécialité.
Comment avez-vous appris à broder ?
"J’ai
commencé assez naturellement, avec les femmes qui m’entouraient. Enfant j’ai
toujours vu ma mère broder pour un bureau, et toutes les femmes autour de moi.
Quand il faisait beau, nous tirions les chaises dans la rue, et ça brodait
devant les maisons !
J’ai commencé ma marquette (synonyme de marquoir, pièce d'étude sur laquelle s'exerçaient les jeunes brodeuses) avec des exercices au plumetis,
on me corrigeait au fur et
à mesure.
On n’avait pas plus de cours que ça, simplement l’expérience que nous
retransmettaient nos aînées. Et de la broderie, on en voyait : je me rappelle
le mouchoir précieux brodé d’un agneau pascal reçu pour ma première communion,
comme de coutume dans la région.
Et la broderie professionnelle ?
Ça
aussi, ça s’est fait naturellement, car dans le coin, il n’y avait guère d’embauche
pour les jeunes filles en dehors de la broderie et la question se posait à
peine. Juste après le certificat d’étude, ma mère m’a poussée à m’inscrire dans
un bureau et j’ai bien compris que le temps était venu pour moi de gagner un
peu d’argent avec mon aiguille. J’ai souvenir d’avoir brodé surtout des mouchoirs,
mais il y avait des spécialités.
J’ai des draps par exemple, où j’ai brodé mon monogramme, mais les fils tirés ont été réalisés par une brodeuse dont c’était la partie.
A la Pipée, il y avait même celle qui brodait le monogramme du Shah d’Iran sur ses caleçons, ça n’était pas n’importe qui !
Comment choisissait-on son bureau ?
C’était un peu le hasard, on pouvait le faire en fonction de la proximité par exemple, on se regroupait par quartier. Il y avait encore beaucoup de bureaux de broderie à Fontenoy, moi je suis allée à celui qui était de l’autre côté de la rue. Mais je me rappelle que ma mère n’était pas au même bureau que moi.
Comme nous n’avions pas le choix de gagner notre vie autrement, on nous payait une misère, et ça nous révoltait assez, d’ailleurs... D’autant que les échantillons qui servaient à déterminer les prix étaient bien sûr réalisés par des brodeuses expérimentées et rapides, et comme nous étions payées à la pièce, il ne s’agissait pas de traîner. Il y a peut-être eu une époque plus lointaine où la situation des brodeuses était enviable, mais juste avant-guerre, il fallait en faire, des heures, pour gagner quelque chose ! Vivre de la broderie, ce n’était pas un rêve, bien que je garde le bon souvenir des veillées où tout le monde tirait l’aiguille autour de la lampe, il y a même des hommes qui brodaient avec nous."
Quant à moi, j'ai vraiment vu des ouvrages magnifiques et je ne saurais trop recommander aux amateurs d'aller visiter ce musée !
Broderie anglaise |
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